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🕒 Temps de lecture : 8 minutes

Le doyen du refuge : un grand-père de 80 ans traverse la Slovénie à pied avec ses petits-enfants pendant huit jours

D’autres promeneurs étaient surpris, certains ont même voulu prendre une photo avec lui. Ce n’est pas tous les jours que l’on voit un grand-père de 80 ans qui part en randonnée en montagne avec cinq de ses petits-enfants ! Ludo Herbots a lui-même été guide de randonnée pendant de nombreuses années, mais pour le voyage de sa vie, il s’est laissé guider par sa progéniture. Tous les six ont voyagé à travers la nature sauvage de la Slovénie. Quelque 111 kilomètres d’aventure, de plaisir et, parfois aussi, de difficultés.


Changement de programme

La benjamine a 14 ans, le doyen en a 80. Ils se retrouvent chez papy Ludo et mamy Julia. L’un des petits-fils est un peu en retard (« c’est dans les habitudes de Willem », rit la grand-mère), tandis que Babita (20 ans), qui a également participé à l’expédition en Slovénie, a d’autres projets aujourd’hui. « C’est d’ailleurs étonnant qu’ils aient tous pu se libérer en même temps l’été dernier pour notre voyage », sourit Ludo.

 

Mais pour un trekking avec leur grand-père, les petits-enfants n’ont pas hésité à revoir leur agenda. Anna (14 ans) a même renoncé à un autre voyage pour l’occasion. « Normalement, je devais aller faire de la voile avec mes parents en Croatie. Ce sera encore possible plus tard. Par contre, c’était peut-être la dernière fois que nous pouvions partir en randonnée avec grand-père. » Peut-être… Parce qu’avec papy Ludo, on ne sait jamais ! « J’ai été guide de randonnée pendant vingt ans », explique-t-il. « Certaines années, j’ai accompagné jusqu’à sept randonnées de plusieurs jours. Cette époque est révolue. Passé un certain âge, il faut être plus prudent. J’essaie d’entretenir ma forme physique en faisant des promenades trois fois par semaine : deux petits tours et une randonnée de 20 kilomètres. Je ne me projette plus très loin dans le temps. J’ai 80 ans, ça a été un beau voyage. Tout ce que je vis en plus maintenant, c’est du bonus. »

« Papy a quand même déjà une nouvelle randonnée dans son agenda », ajoute Kobe (24 ans) avec un clin d’œil. « Dans quelques mois, il marchera de Porto à Compostelle. » Ludo a attrapé le virus de la marche quand il était jeune. Il a ensuite contaminé toute sa famille : d’abord sa femme et leurs trois enfants, puis leurs petits-enfants. « J’ai pris ma retraite à 58 ans. J’ai immédiatement commencé à travailler comme guide de randonnée », se souvient-il. « Avant, j’étais directeur d’une école d’enseignement spécialisé. »


Nature sauvage

L’itinéraire est tracé sur une carte d’état-major de la Slovénie posée sur la table. À six, ils ont traversé la Via Alpina d’Idrija à Trenta pendant huit longues journées. Ludo feuillette un album photo du voyage : chaque image leur rappelle une aventure. Nous entendons des histoires sur les nombreux bouquetins que le groupe a rencontrés en chemin et comment l’un d’eux a posé pour une photo. Sur une averse surprise qui ne leur a pas laissé le temps de s’abriter. Sur une avalanche de pierres évitée de justesse. « Ça a été un moment fort en adrénaline », se souvient Kamiel (15 ans). « Kobe et moi étions sur un sentier, près du dernier refuge où nous devions passer la nuit. Tout à coup, nous avons entendu des pierres tomber au-dessus de nous. Des bouquetins ont causé cette petite avalanche. »

« C’était vraiment effrayant », affirme Kobe. « Dans ces moments-là, on se rend compte qu’on est vraiment dans la nature sauvage et pas dans un environnement créé par l’homme. »


« Tout à coup, nous avons entendu des pierres tomber au-dessus de nous. Des bouquetins ont causé cette petite avalanche. »

Le dernier petit-fils arrive soudainement. Il présente ses excuses, la famille passe rapidement à autre chose. Mamy fait du thé et apporte des gaufres maison, aux raisins secs pour les amateurs et sans pour les autres. Une grand-mère connaît ses petits-enfants.

 

À une époque, Ludo et Julia invitaient leurs enfants et petits-enfants chaque lundi soir pour un repas chez eux. Ils passaient ensuite des heures à discuter à table. Aujourd’hui, ces moments se font rares. Ils ont tous des agendas très chargés, des vies bien remplies… Mais quand ils se retrouvent, l’ambiance est immédiatement au rendez-vous ! « Nous avons eu moins de contacts ces deux dernières années surtout », constate Kobe. « Marcher ensemble nous a de nouveau rapprochés. Je pense que papy n’avait jamais été aussi impatient de partir en voyage. »

 

Lorsque Ludo repense au moment où ses petits-enfants l’ont invité, il n’a qu’un seul mot à la bouche : extraordinaire ! « Leur initiative m’a fait très plaisir. Quand ils étaient plus jeunes, nous voyagions souvent ensemble. »

 

Mais cette fois, c’était différent. C’était la première fois que le grand-père se laissait guider par ses petits-enfants. « Chacun avait sa propre tâche », précise Willem (22 ans). « Kobe était le guide et je devais m’assurer qu’il ne faisait pas de bêtises. (Il sourit.) Nous avons suivi l’itinéraire tracé sur une application de randonnée, tandis que Babita tenait à l’œil les dénivelés sur sa montre. Kamiel était chargé de noter les statistiques. » Et Anna ? Elle éclate de rire. « Moi ? Je mettais l’ambiance ! »

Le voyage en chiffres :

JOUR 1 

Idrija – Ermanovec

23,4 kilomètres, 1 302 mètres de dénivelé positif, 600 mètres de dénivelé négatif

JOUR 2

Ermanovec – Dolenji Novaki (hôpital Franja Partisan) 

12,2 kilomètres, 250 mètres de dénivelé positif, 743 mètres de dénivelé négatif

JOUR 3

Dolenji Novaki – Porezen

8,4 kilomètres, 1 336 mètres de dénivelé positif, 218 mètres de dénivelé négatif

JOUR 4

Porezen – Črna prst

15,73 kilomètres, 1 492 mètres de dénivelé positif, 1 240 mètres de dénivelé négatif

JOUR 5

Črna prst – Vogel

12,27 kilomètres, 683 mètres de dénivelé positif, 962 mètres de dénivelé négatif.

JOUR 6

Vogel – Dom na Komni

11,45 kilomètres, 693 mètres de dénivelé positif, 721 mètres de dénivelé négatif

JOUR 7

Dom na Komni – Koča na Doliču

15,92 kilomètres, 1 218 mètres de dénivelé positif, 553 mètres de dénivelé négatif

JOUR 8

Koča na Doliču – Trenta

21,31 kilomètres, 222 mètres de dénivelé positif, 1 766 mètres de dénivelé négatif

Total : 111,718 kilomètres de marche, 7 196 mètres de dénivelé positif, 6 803 mètres de dénivelé négatif. Point culminant : 2 362 mètres. Point le plus bas : 323 mètres.

La famille de randonneurs parle de l’aventure avec enthousiasme ; ce sont de beaux souvenirs. Tout le monde semble avoir oublié les passages difficiles. Quoique : « Pour être honnête, je ne pense pas que nous serions partis si nous avions su à l’avance à quel point ce serait difficile », observe Kobe.

 

« J’ai eu un petit coup de mou le troisième jour de marche », se souvient Ludo. « L’étape ne faisait que 8 kilomètres, mais nous avons grimpé 1 300 mètres. Vers la fin, Willem est alors allé jusqu’au refuge pour déposer son sac à dos et est revenu prendre le mien. »

Pendant la randonnée, chacun portait un sac à dos avec son propre équipement. Même Anna. « C’est vraiment incroyable ce qu’Anna a accompli », dit Willem avec fierté. « C’était difficile, tant physiquement que mentalement. Je trouve qu’elle a géré ça avec beaucoup de maturité. »

 

Anna rayonne, tandis que Ludo en rajoute une couche. « Willem a raison. C’était souvent vraiment dur et bien plus qu’une simple balade côte à côte en papotant. En même temps, c’est ce qu’il y a de bien avec la randonnée : elle permet de se libérer l’esprit. »


Perturbateurs lors du vlog

Pour mettre un peu d’ambiance, Kamiel cherchait des anecdotes amusantes et des questions de quiz sur son GSM pendant leurs déplacements. Par exemple : quelle est la différence entre un chamois et un bouquetin ? À partir de quand peut-on qualifier une colline de montagne ?*

 

« Nous avons posé ces questions sur Instagram, puis j’ai demandé à mes abonnés s’ils connaissaient la réponse », explique Kobe. « J’ai également publié de courts vlogs. Pendant que j’essayais de parler, les autres imitaient des cris d’animaux, cela en devenait exaspérant. » (Il rit.)

Cette longue réunion a également permis à Kobe de mieux se connaître. « Je parle beaucoup et fort. Pendant le voyage, j’ai remarqué que cela pouvait déranger certaines personnes. J’avais parfois l’impression d’être en trop, ce qui était pénible mentalement. En même temps, j’ai appris à mieux me connaître. »

La fatigue et les nombreux kilomètres occasionnent parfois des frustrations. Mais il n’y a pas eu de gros conflits. « Nous avons eu quelques discussions sur les statistiques », ajoute Ludo. « Nous disposions par exemple de plusieurs altimètres et ils donnaient parfois des résultats différents. Nous tenions alors compte du chiffre le plus élevé. »

« Nous n’avons donc peut-être parcouru que 80 kilomètres au lieu de 111 », s’amuse Willem.

« Le paysage me faisait penser au film Interstellar, dans lequel les personnages se rendent sur une autre planète. »

Un souvenir du voyage est accroché en évidence dans le séjour de Ludo : une grande photo du grand-père, entouré d’immenses rochers. « C’est un cadeau des petits-enfants », souligne Kobe. « Nous avons pris cette photo l’avant-dernier jour, lorsque nous avons crapahuté de Dom na Komni à Koča na Doliču. »

 

« C’était selon moi la plus belle partie du voyage », intervient Willem. « Le paysage me faisait penser au film Interstellar, dans lequel les personnages se rendent sur une autre planète. C’était rocailleux, un vrai paysage lunaire. »

« Et le chemin était parfois difficile à trouver », ajoute Anna. « Nous devions chercher des points sur les rochers. Cela a rendu le tout encore plus amusant. »

 

« En effet, la Via Alpina est différente du chemin de Compostelle, par exemple, où il y a en permanence des panneaux indiquant la direction à prendre », explique Ludo.

« La beauté de la Slovénie réside aussi dans la diversité des paysages », note Kobe. « Nous avons commencé dans les bois et fini au milieu des rochers. Très impressionnant. »

Et dire qu’au départ, la famille n’avait pas prévu d’aller en Slovénie. « Nous devions aller en Norvège », commence Kobe. « Papy voulait faire une partie des chemins de Saint-Olav. »

Kobe le savait, car il a un jour interrogé son grand-père comme si de rien n’était. « Papy, si tu ne pouvais plus faire qu’une seule randonnée, laquelle choisirais-tu ? » « Je n’ai pas insisté, mais je me suis ensuite dit que ce serait chouette de faire cette randonnée tous ensemble. Partir à deux me semblait imprudent. Imaginez qu’il y ait un problème ! Je ne pourrais pas abandonner papy en cours de route pour aller chercher de l’aide, n’est-ce pas ? » C’est ainsi que Kobe a appelé son cousin Willem qui a accepté de les accompagner. « Nous avons finalement envoyé un message à tous les petits-enfants. Seule ma sœur a décidé de ne pas nous accompagner. Il faut dire que c’est la seule petite-fille qui n’aime pas les randonnées. » (Il rit.)


De la Norvège à la Slovénie

La famille a fixé une date, réservé les vols et pris contact avec les refuges de montagne. « Tout était organisé dans les moindres détails », explique Kobe. C’est alors que l’épidémie de coronavirus nous a tous frappés. « L’été dernier, les mesures ont été renforcées en Norvège. À notre arrivée, nous aurions dû rester dix jours en quarantaine. Ce n’était pas faisable. »

 

Le groupe a dès lors dû changer ses plans à la hâte et a opté pour la Slovénie. Seize ans plus tôt, Ludo avait déjà prévu de faire une randonnée de plusieurs jours dans ce pays, mais il s’était cassé le pied et n’avait pas pu partir. Cette fois, rien ne l’en empêcherait ! « Faire de nouvelles réservations nous a causé un peu de stress. Nous avions à peine deux semaines pour tout organiser », poursuit Kobe. « Et chaque étape devait être bien préparée. Si un seul refuge avait été complet par exemple, nous aurions dû annuler tout le voyage. » Mais tout s’est bien passé et personne ne regrette ce changement de dernière minute. La beauté naturelle de la Slovénie a touché les marcheurs à chaque étape de leur parcours. « L’hôpital Partisan que nous avons visité était très impressionnant », enchaîne Willem. « Des soldats blessés y ont été soignés pendant la Seconde Guerre mondiale. Il était caché dans les montagnes. »

 

« Les Allemands n’ont jamais réussi à déterminer sa position exacte », précise Ludo. « Les blessés y étaient transportés sur des brancards en empruntant des chemins étroits et en traversant des rivières. »

« J’ai aussi beaucoup apprécié la rencontre avec les nombreux animaux croisés en chemin », ajoute Willem. « Je pense que je n’ai jamais vu autant d’animaux lors d’une randonnée. » Des bouquetins, des chamois, des marmottes, des cerfs… « On a même vu un aigle ! », souligne Willem. « Peut-être », relativise Kobe. « Cela aurait tout aussi bien pu être une buse. Enfin, vous pouvez quand même écrire que c’était un aigle. » (Il rit.)

« Partir seul avec papy me semblait imprudent. Imaginez qu’il y ait un problème ! Je ne pourrais pas l’abandonner en cours de route pour aller chercher de l’aide, n’est-ce pas ? »

Pendant le voyage, à un moment, tout le groupe n’était pas très rassuré, à l’exception de Kamiel, qui a trouvé cela plutôt amusant. « C’est quand nous avons dû franchir une crête dans la brume le cinquième jour », se souvient Kobe. « C’est la seule fois où Willem et moi avons marché à l’avant et à l’arrière du groupe pour garder un œil sur tout le monde. On aurait entendu voler une mouche. Dans ces moments-là, votre sens des responsabilités prend le dessus. S’amuser n’est plus une priorité. »

 

« Pendant cette portion de route, je pensais vraiment : qu’est-ce qu’on fait si quelqu’un tombe maintenant ? », explique Willem. « La seule chose qu’on veut, c’est que tout le monde soit en sécurité. »

Kamiel l’a vécu différemment. « Parfois, deux broches en fer sortaient d’un rocher et il fallait les utiliser pour grimper. C’était génial ! »


Papy rapide dans les descentes

Papy Ludo avait toute confiance en ses petits-enfants. « Après toutes ces années, je sais de quoi ils sont capables. Mes petits-enfants ont l’habitude de marcher en montagne. La première chose que je leur ai offerte à la sortie de l’école maternelle, c’est une boussole. Ils pouvaient alors nous accompagner, mamy et moi, pour une petite randonnée dans les Ardennes. »

 

Ensuite, ils ont fait de plus longs voyages en famille, en Suisse par exemple. Ils s’en souviennent encore très bien. « Quand on avait mal aux jambes, papy nous massait. Personne ne réclamait ce massage, car cela faisait très mal », ajoute Kobe en riant.

« Je suis très reconnaissant de ce que papy nous a appris », poursuit-il. « Papy est mon héros depuis que je suis tout petit. C’est une si belle personne, chaleureuse, qui nous a tant appris. C’est agréable de pouvoir lui offrir un petit quelque chose en retour en organisant ce voyage. Je suis aussi incroyablement fier qu’il nous ait accompagnés à 80 ans. Je le raconte à tous ceux qui veulent l’entendre. »

Ludo a les larmes aux yeux. Le débriefing avec ses petits-enfants, l’album photo et maintenant cette interview : ce sont de beaux souvenirs d’une aventure encore plus belle ! « C’est une expérience qui restera gravée dans ma mémoire », dit-il.

 

Les petits-enfants se souviendront quant à eux surtout de la vitesse à laquelle leur grand-père descend la montagne. « Le dernier jour, nous avons dû effectuer une descente vertigineuse », explique Kobe. « Pour un total de 1 766 mètres ! »

« Nous n’arrivions pas à suivre papy », ajoute Willem en riant.

« Ou c’est peut-être parce que nous étions presque à la fin de notre voyage », souligne Ludo avec un clin d’œil.

 

La dernière soirée dans les montagnes fut la plus belle. La famille a pu admirer un magnifique coucher de soleil dans un refuge de montagne bondé. « Nous avons dormi là où de nombreux alpinistes commencent l’ascension du Triglav », raconte Ludo. « Il était un peu trop haut pour nous, mais c’était malgré tout un endroit particulièrement agréable pour nous arrêter. »

« Ces refuges de montagne sont spéciaux », enchaîne Kobe. « On y rencontre d’autres passionnés. J’ai une fois passé une soirée entière à parler avec un Américain parti seul en randonnée. »

« Oui, les enfants parlent tous bien anglais », souligne Ludo. « Pour eux, c’était facile. »

« Allez papy, cela allait pour toi aussi, non ? », demande Kobe. « Tous les soirs, tu parvenais à commander ta bière locale. »

Ludo rit. « Oui, c’est vrai ! Ils comprenaient bien, même avec mon accent. Je n’aurais jamais pu le faire en Norvège : là-bas, la bière coûte beaucoup trop cher. »

INFO : vous trouverez d’autres photos de cette randonnée et d’autres aventures de voyage sur le compte Instagram de Kobe Jaubin : @kobe_aroundtheworld

 

* Réponses aux questions du quiz : un chamois est plus petit qu’un bouquetin et ses cornes sont également plus petites. On parle d’une montagne dès qu’une colline s’élève à plus de deux ou trois cents mètres au-dessus des alentours.

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