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Certaines optent pour un vélo électrique, d’autres pour un week-end de détente entre amies. Haïke De Vlieger, de Grimbergen, ne voulait rien de tout cela pour ses 50 ans. Elle a décidé de célébrer son demi-siècle en traversant la Manche à la nage. « Tout le monde me demandait : mais pourquoi diable veux-tu faire ça ? Et moi, je me disais surtout : mais pourquoi ne le ferais-je pas ? »
« Hourra, la cabine de plage est toujours là ! » Haïke arpente la plage avec un grand sourire. C’est dimanche et elle est descendue à Ostende, sa ville natale, pour son rendez-vous bimensuel avec la mer et avec les Zwammers, un groupe de femmes enthousiastes qui sont déjà en train de se changer pour plonger dans les vagues sauvages, comme chaque week-end. « Nous avons de la chance que ma cabine de plage n’ait pas encore été enlevée par les services de la ville », déclare Sofie Defever (46 ans), membre des Zwammers. « De cette façon, nous pouvons nous changer à l’abri. Ce sera l’une des dernières semaines, maintenant que l’automne a commencé. »
« Bientôt, lorsque la cabine sera enlevée, on se changera directement sur la plage. »
Non pas que ce soit vraiment un obstacle. Pas de cabine de plage = pas de problème. « Dans ce cas, on se change directement sur la plage. Nous portons quelques couches de vêtements faciles à retirer par-dessus nos maillots de bain », explique Haïke.
« Et ensuite, il ne nous reste plus qu’à espérer qu’on ne nous volera pas nos vêtements pendant notre baignade », s’amuse Karen Vlerick (49 ans).
52 ans
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Vit à Grimbergen
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Originaire d’Ostende
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Pédopsychiatre de profession
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Aime « paponager » (Ndlr : « zwammen » en néerlandais, d'où le nom du groupe), à savoir, nager et papoter en même temps, la zumba, les « ijsberen » (club de nage en eau froide), le padel, le dogtrail, le Qi gong et la boxe thaïe
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Est mère de trois enfants : Sepke (23), Ward (22) et Flor (19)
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Travaille en tant que bénévole à la ferme thérapeutique Huppeldepup à Grimbergen, pour laquelle elle a récolté des fonds grâce à sa traversée de la Manche
« Je suis de nouveau la seule à frissonner ici », dit Haïke. « C’est tout de même incroyable. Il n’y a que moi qui souffre du froid ! »
« Et pourtant, elle est la seule de notre groupe à avoir traversé la Manche à la nage », dit Patricia Steenacker (50 ans). « Ce n’est pas que nous n’en soyons pas capables, bien sûr, on n’en a juste pas envie. » Un rire tonitruant secoue les autres membres de l’équipe. Et un grand clin d’œil est dirigé vers Haïke. Parce qu’en secret, ses collègues Zwammers sont « mégafières » de sa performance de l’été dernier. Elles étaient d’ailleurs toutes présentes lorsque Haïke est arrivée sur la plage de Wissant, dans le nord de la France, début août 2021, après avoir parcouru 51 kilomètres à la nage. Elle avait quitté Douvres exactement 14 heures et 51 minutes plus tôt.
« On m’avait bien répété à l’avance de ne toucher aucun de mes supporters. Sinon, j’aurais été considérée comme étant officiellement sur le territoire français et j’aurais dû être mise en quarantaine. »
Elles ont regardé avec émotion Haïke sortir de l’eau et fouler la plage les bras levés et lui ont adressé des signes d’adieu exubérants lorsqu’elle est repartie pour la Grande-Bretagne à peine cinq minutes plus tard à bord du bateau qui l’avait accompagnée durant sa traversée. « On m’avait bien répété à l’avance de ne toucher aucun de mes supporters. Sinon, j’aurais été considérée comme étant officiellement sur le territoire français et j’aurais dû être mise en quarantaine », explique Haïke. « Bon, de toute façon, le but n’est pas de traîner longtemps sur la plage après avoir effectué une traversée de la Manche à la nage. On se refroidirait bien trop vite. »
Sur le bateau, Haïke a été prise en charge par ses trois enfants adultes et son entraîneuse. « En plus du capitaine, il y avait également un observateur à bord qui a vérifié pendant toute la traversée que tout se passait conformément aux directives. Par exemple, vous n’avez pas le droit d’arrêter de nager ou de toucher le bateau. »
Haïke a quitté l’Angleterre à l’aube. « Au coucher du soleil, je suis arrivée en France. Pendant tout ce temps, mes enfants et mon entraîneuse n’ont cessé de m’encourager. Ils avaient emporté un tableau blanc sur lequel ils écrivaient des messages et les petits mots envoyés par les amis. Ça m’a permis de combattre un peu l’ennui, parce qu’à certains moments, j’en souffrais vraiment. »
« La douleur causée par les piqûres de méduses a détourné mon attention du froid. Et elles m’ont réchauffée agréablement. »
Ils ont même dessiné des rébus et des problèmes arithmétiques sur le tableau. Tout pour lui changer les idées. Et pour la distraire du froid. « Gérer cela a été la chose la plus difficile pour moi », raconte-t-elle. Ça lui a même fait relativiser deux piqûres de méduses. « La douleur causée par ces morsures a détourné mon attention. Et elles m’ont réchauffée agréablement (rires). »
Près de 15 heures de nage, de froid, de méduses, d’ennui... Haïke n’a-t-elle jamais pensé à abandonner en cours de route ? « En fait, non. Je trouvais aussi que je ne pouvais pas me l'autoriser. Tellement de gens étaient impliqués. J’étais passée dans les médias, des amis m’attendaient, quelques centaines de personnes suivaient les mises à jour que ma sœur publiait en ligne sur Facebook. Je n’ai simplement pas osé m’arrêter (rires). »
Entretemps, Haïke n’est plus la seule du groupe à frissonner. Papoter en maillot de bain par 14 degrés n’est pas une partie de plaisir, même pour des nageuses en mer chevronnées. « Ne dites pas que nous sommes des nageuses », dit Sofie. « Il est interdit de se baigner ici à cette période de l’année, il n’y a pas de sauveteurs présents. » Le bain de pieds est autorisé. « Et bavarder aussi, c’est d’ailleurs notre spécialité », plaisante Patricia. Rarement un groupe n’aura aussi bien porté son nom.
Sofie sort un thermos de thé. Patricia distribue des tasses. « Regardez, elle les a faites elle-même. Nos noms sont dessus et le vernis a la même couleur que la mer. Magnifique, n’est-ce pas ? », s'enthousiasme Karen. Surprise ! « Pour toi, j’ai apporté une tasse sur mesure. Tu as livré une performance tellement incroyable que tu as droit au modèle supérieur. » Patricia pousse un pot de fleurs fait maison dans les mains de Haïke. Il y est inscrit : « Voor onze Kanaalzwammer » (NDLR : Pour notre équipière qui a traversé la Manche). Haïke est visiblement émue.
« Pendant l’entraînement, je me disais souvent : si je n’y arrive pas, le chemin parcouru en aura quand même valu la peine. J’ai rencontré tellement de belles personnes. »
« Cette aventure m’a permis de nouer de véritables amitiés », dit-elle. « Je me disais souvent ça pendant l’entraînement. Si je n’y arrive pas, le chemin parcouru en aura quand même valu la peine. J’ai rencontré tellement de belles personnes. » Cela nous fait penser à une citation que nous avons vue passer sur le fil de nombreux Instagrammeurs : It’s not about the destination, it is about the journey. Une formule qui sonne on ne peut plus vrai. Quoique... « Je dois admettre que je n’aurais probablement pas arrêté après un seul essai », s’amuse Haïke. « J’aurais certainement réessayé plus tard. »
Haïke est la première femme belge à traverser la Manche à la nage depuis trente ans. « Les deux dernières heures ont été les plus difficiles. Après 13 heures, j’ai pu apercevoir ma destination finale. Je pensais que j’y étais presque. Mais le courant m’a fait dériver de plus en plus loin. Je devais vraiment faire la course pour avancer. Mon entraîneuse avait dit qu’elle nagerait le dernier tronçon avec moi. Je l’attendais dans l’eau à tout moment, mais elle n’est pas venue. Je me suis ensuite mise en colère et j’ai commencé à crier : « Où est-ce qu’on en est là ?! » Je n’arrivais pas à croire que je n’étais toujours pas arrivée sur la terre ferme. « Tais-toi et nage », m’a répondu mon entraîneuse. Et c’est ce que j’ai fait. »
Il y a peu de monde sur la plage d’Ostende en ce dimanche après-midi. Il a plu toute la matinée et le vent est fort. Ceux qui s’y trouvent - pour laisser gambader le chien ou se promener - se sont emmitouflés chaudement. Ces quatre dames en maillot de bain se préparant à aller nager offrent donc un curieux spectacle.
« Notre baignade la plus froide s’est déroulée dans une eau à 4 degrés. Nous y sommes donc restées à peine six minutes. »
Heureusement, elles peuvent aussi compter sur un peu de chaleur en plus. « Ma tante a tricoté des bonnets en laine spécialement pour nous », révèle Sofie. « Nous les portons quand il fait froid, car c’est par la tête qu’on perd le plus de chaleur. » « Oui, en hiver, un bonnet se révèle indispensable », assure Karen.
Gloussant et riant, ces dames se dirigent vers la ligne de flottaison. « Nous sommes une bande de quadragénaires et de quinquagénaires dotées d’un âge mental de 12 ans », vient de nous avouer Patricia. Nous comprenons peu à peu ce qu’elle a voulu dire. « Nous reviendrons quand l’une de nous aura viré au bleu », plaisantent-elles. « Notre baignade la plus froide s’est déroulée dans une eau à 4 degrés, nous y sommes donc restées à peine 6 minutes », raconte Sofie. « Le week-end dernier, nous tenions encore une petite heure. Ça devrait encore être possible aujourd’hui. On apprend également à tenir compte des signaux donnés par notre corps. C’est en tout cas quelque chose qui doit se développer au fil du temps. Les nouveaux ne tiennent pas aussi longtemps. Il est préférable de commencer en été et de s’habituer au froid semaine après semaine. »
Hop, c’est parti. Un peu hésitantes au début, elles y vont bientôt à pleins poumons. Elles sautent dans les vagues, se laissent un peu dériver, Haïke nage même quelques longueurs tandis que les trois autres prennent position selon la ligne de marée telles des sirènes. Après exactement une heure, tout le monde sort de l’eau et retourne rapidement à la cabane.
Vestes imperméables zippées jusqu’au menton, nous ne pouvons nous empêcher de nous demander ce qui les pousse à s’immerger ainsi dans l’eau. Pour les Zwammers, les avantages sont nombreux. Qu'il s'agisse de remettre complètement les compteurs à zéro ou de pouvoir faire le vide pendant un moment. Car, comme Karen le dit si bien, « Dans l’eau froide, vos soucis disparaissent ».
« J’ai pris 10 kilos pour être physiquement capable d’effectuer ma traversée de la Manche. »
Après la baignade, il est à nouveau évident que c’est Haïke qui frissonne le plus. « Cela a toujours été le cas. À l’époque, ça me faisait paniquer. Je pensais qu’à cause de ça, je n’arriverais jamais à traverser la Manche à la nage. J’ai même consulté un psychologue pendant ma préparation pour apprendre à gérer le froid. J’ai également pris 10 kilos pour être physiquement en mesure d’effectuer la traversée. Les nageurs longue distance ont besoin de suffisamment de graisse. Parce que vous consommez beaucoup d’énergie en chemin et qu’elle constitue une couche d’isolation supplémentaire. Je ne suis pas quelqu’un qui prend du poids facilement. J’ai vraiment dû faire de mon mieux pour prendre ces kilos. Quand mes enfants mangeaient des chips dans le canapé le soir, je leur disais à contrecœur : allez, donnez-m’en un peu aussi. »
En chemin vers la cabine, Haïke est arrêtée par un passant. Il demande s’il peut prendre une photo et se présente comme un collègue nageur de fond. Il semble aussi qu’il soit un grand fan. Il regarde Haïke avec la même admiration que si elle était Madonna descendant de la scène. Il raconte ensuite sa propre histoire. Il avait l’habitude de s’entraîner à la nage 70 heures par semaine, mais a dû abandonner en raison d’une blessure. Il n’a donc pas encore réussi à accomplir le même exploit qu’elle. « Oh, je n’ai jamais fait autant d’heures de natation », répond sobrement Haïke. « Je n’ai pas le temps pour ça, je travaille à plein temps. »
« Notez bien que j’avais, moi aussi, un programme d’entraînement strict », poursuit Haïke après le départ de l’homme. « Il y avait beaucoup à faire. Entraînement d’endurance, technique de nage, kinésithérapie... Le samedi, je m’entraînais avec les ijsberen à Boom, le dimanche ici et pendant la semaine, j’allais souvent chez une amie qui possède un étang de natation. » Un jour, il était complètement recouvert de glace. « Je me suis mise à frapper la glace pour qu’elle casse. Mon amie a essayé de m’en dissuader. J’ai juste répondu : je dois m’entraîner, je dois aller dans l’eau. Et finalement, je m’y suis quand même immergée. Mais pas trop longtemps, il faisait beaucoup trop froid. »
Ce satané froid refait sans cesse son apparition dans le récit de Haïke. Et cela dès le début. « En 2018, j’ai participé à un camp à Douvres pour les personnes souhaitant traverser la Manche à la nage. Je m’étais mis cette idée en tête et je voulais tester si j’en étais capable. Là-bas, nous avons dû nous immerger dans l’eau froide pendant des heures. Je frissonnais tellement que je me suis blessé les muscles de l’estomac et de la hanche. Suite à cela, j’ai dû arrêter le sport pendant un an. »
« L’eau salée peut provoquer une surcharge rénale durant la traversée. Pour assurer que cela n’était pas mon cas, je devais crier ‘Pee!’ à haute voix chaque fois que j’urinais. »
On aurait pu penser que tout cela mettrait un terme à ce plan complètement fou. Mais Haïke n’en a pas démordu. Après une année de repos, elle a recommencé. « Au début, je ne savais vraiment pas ce que je faisais. Après de longues recherches, j’ai trouvé une bonne entraîneuse qui m’a guidée. » C’est d’elle que Haïke a tout appris. Elle a établi des programmes de natation et a fait faire à Haïke les choses les plus folles. Boire des milk-shakes en nageant, par exemple, car il est interdit de s’arrêter pour manger pendant la traversée de la Manche. Et il n’est pas permis non plus de nager sur place lorsqu'on urine.
« Essayez un peu d’uriner tout en nageant : croyez-moi, ce n’est pas simple. Il est également très important d’uriner suffisamment en cours de route. L’eau salée peut provoquer une surcharge rénale. Pour assurer que cela n’était pas mon cas, je devais crier ‘Pee!’ à haute voix chaque fois que j’urinais. Suite à quoi tout le monde sur le bateau se mettait à applaudir (rires). »
« La première chose que j’ai dite à mes enfants en montant sur le bateau a été : je ne le ferai plus jamais. Arrêtez-moi si jamais je dis que je veux réessayer. » Les jours qui ont suivi ont été particulièrement difficiles. « J’avais vraiment besoin d’aide pour m’habiller. Ma langue et ma gorge me faisaient aussi très mal à cause de l’eau salée. »
« Les jours suivants, j’ai vraiment eu besoin d’aide pour m’habiller. Ma langue et ma gorge me faisaient aussi très mal à cause de l’eau salée. »
Dans l’ensemble, le corps de Haïke a bien surmonté l’épreuve. « De nombreux nageurs qui traversent la Manche attrapent le mal de mer. Cela n’a été que très brièvement mon cas. Je connais un autre nageur qui a vomi pendant 13 heures. C’est inhumain. On s’entraîne aussi pour éviter cela. Tout comme pour nager dans les hautes vagues. La semaine précédant ma traversée, j’ai nagé deux fois pendant six heures ici à la mer. Juste entre les bouées, pendant que ma fille me ravitaillait depuis la plage. C’était encore une chose à laquelle je n’avais jamais pensé, que j’allais devoir manger en route. »
Haïke relativise le fait que, lors de cette traversée à la nage, il faut aussi avoir un peu de chance avec la façon dont son corps réagit. « Mais il faut aussi être fort psychologiquement. L’aspect mental est très important pour les nageurs qui traversent la Manche. »
« Haïke possède une énorme force mentale », soulignent ses amies des Zwammers. Pas étonnant qu’elle ait réussi. Elles continuent en même temps à trouver cet exploit complètement dingue, d’autant que Haïke n’avait commencé à se mettre à l’eau avec elles qu’un an plus tôt. « Au début, je leur cachais mes projets de traversée », dit Haïke. « Je ne voulais pas leur sembler bizarre. » Les Zwammers sourient. « C’est mieux qu’elle n’ait rien dit à ce sujet. Nous l’aurions traitée de folle. »
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